Le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) est malmené. Non seulement aux États-Unis, où la Cour suprême a révoqué le droit constitutionnel à l’avortement ce vendredi 24 juin, autorisé depuis 1973 par l’arrêté Roe vs Wade. Mais également dans de nombreux pays européens, l’appel conservateur à la protection de la vie se fait plus fort. Les droits des femmes sont-ils des droits humains ? Apparemment non.
Le principe d’être maître de son propre corps est en train de vaciller. En Pologne, les lois sur l’IVG ont été renforcées. Et, à l’heure actuelle, vous ne pouvez avorter que si vous avez été violée ou si votre vie est en danger. Le décès d’une femme de 30 ans, contrainte de mener à terme sa grossesse de jumeaux atteints de graves malformations, a montré que ce dernier n’est pas toujours un indicateur. À 22 semaines, les bébés qu’elle portait dans son ventre sont morts et elle a elle-même été victime d’une crise cardiaque fatale sur le chemin du bloc opératoire.
Une ligne téléphonique spéciale
Les lois deviennent également plus strictes dans d’autres pays européens comme la Hongrie, tandis que les pays progressistes comme l’Allemagne ne sont pas aussi progressistes qu’on pourrait le croire. En Allemagne, par exemple, l’IVG figure toujours dans le code pénal, mais elle est autorisée jusqu’à 12 semaines sous certaines conditions. Dans un même temps, de moins en moins de médecins sont disposés à pratiquer l’intervention, notamment parce que c’est depuis longtemps interdit aux médecins allemands de communiquer publiquement des informations au sujet de l’IVG. S’ils le faisaient, ils étaient punissables par la loi et risquaient de lourdes amendes. Un détail saillant est que la « promotion » contre l’IVG était autorisée. Ce n’est que le 24 juin 2022 que ce paragraphe sur l’avortement a finalement été retiré de la loi. Ironiquement, le jour même de l’arrêté Roe vs Wade aux États-Unis.
Aux États-Unis, les droits des femmes font l’objet d’une polémique depuis un certain temps. L’année dernière, l’État américain du Texas a remporté la palme d’or avec une nouvelle loi controversée sur l’IVG, qui rend pratiquement impossible l’avortement. Ceci devient un délit à partir de la sixième semaine de grossesse, ce qui correspond à peu près au moment où la plupart des femmes découvrent qu’elles sont enceintes. Une ligne téléphonique spéciale a également été ouverte, sur laquelle tout le monde peut dénoncer les femmes qui avortent et les personnes impliquées dans l’avortement en échange de 10 000 euros.
Abolition du droit national à l’IVG, les États-Unis font un bond en arrière
Une étrange loi, qui s’est malheureusement avérée n’être qu’un avant-goût de ce qui attend les femmes dans tous les États républicains. À l’heure actuelle, la Cour suprême des États-Unis a révoqué le droit constitutionnel à l’avortement . Cela signifie qu’à partir de maintenant, les États peuvent décider eux-mêmes de la manière dont ils veulent réglementer l’IVG. Peu de choses changeront dans les États démocrates, mais dans les plus de vingt États républicains, il n’est pas inconcevable que l’IVG soit complètement interdite.
Cette nouvelle a suscité une vive émotion chez les partisans de l’avortement, tant aux États-Unis qu’à l’étranger. Le lobby anti-avortement est important en Amérique et de nombreux Européens craignent que ce lobby n’étende ses tentacules vers d’autres pays. Et influencera par conséquent la politique et l’humeur du pays.
Être maître de son propre corps
En France, la loi Veil du 17 janvier 1975 a temporairement légalisé l’IVG pour les femmes. Elle a été reconduite en 1979, puis définitivement légalisée le 1er janvier 1980, remboursée par la Sécurité sociale à 70 % depuis la loi du 31 décembre 1982 (loi Roudy). Un femme enceinte ne souhaitant pas poursuivre une grossesse peut demander à un médecin ou à une sage-femme l’interruption de sa grossesse. Cette interruption ne peut être pratiquée qu’avant la fin de la douzième semaine de grossesse. L’interruption volontaire d’une grossesse ne peut être pratiquée que par un médecin (IVG chirurgicale) ou, pour les seuls cas où elle est réalisée par voie médicamenteuse (IVG médicamenteuse), par une sage-femme. Le droit à l’avortement en France est inscrit dans la loi française mais pas dans la Constitution.
La cheffe des députés LREM, Aurore Bergé, a déposé une proposition de loi le 25 juin dernier pour faire inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution. Cette proposition est soutenue par l’alliance gauche Nupes. Invitée de RTL le 27 juin, la ministre de la Santé Brigitte Bourguignon a confirmé être favorable à l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution française : « On accompagnera cette démarche dans la mesure du possible. C’est un droit qui peut être remis en question à la moindre occasion, assez facilement. Il peut y avoir un danger sur ce droit qui n’est jamais totalement acquis. »
Le médecin ou la sage-femme sollicité par une femme en vue de l’interruption de sa grossesse doit, dès la première visite, informer celle-ci des méthodes médicales et chirurgicales d’interruption de grossesse et des risques et des effets secondaires potentiels.
Zones tampons
L’idée que l’avortement est un délit gagne du terrain. Par exemple, les femmes sont harcelées dans les cliniques d’avortement par des manifestants religieux depuis des années. Elles sont insultées, accusées de meurtre et intimidées par des histoires sur les dommages psychologiques qu’elles subiront si elles poursuivent leur avortement. Et on leur montre des images trompeuses et des modèles de fœtus au moment le plus vulnérable de leur vie. La situation est si grave que des zones tampons sont nécessaires pour permettre aux femmes d’entrer dans les cliniques en toute sécurité.
Alors oui, le lobby anti-avortement se renforce dans certains pays d’Europe. Il y a par exemple des fondations comme l’organisation néerlandaise Schreeuw om Leven (Cri pour la vie), qui organise chaque année une marche pour la vie et distribue des informations trompeuses sur l’avortement. Mais il existe également un conseil chrétien qui entretient des liens chaleureux avec le mouvement anti-avortement aux États-Unis. Sans oublier les partis chrétiens qui s’opposent radicalement à l’avortement. Et il existe maintenant une assurance maladie Pro Life, qui ne couvre pas les avortements.
Délai de réflexion
Il y a suffisamment de raisons de penser qu’en Europe, la situation n’est pas si mal. En effet, alors qu’aux États-Unis, le droit constitutionnel à l’avortement est bafoué, il y a des nouvelles assez positives dans certains pays européens.
Par exemple en France, la loi supprime le délai de réflexion d’une semaine à respecter avant la réalisation d’une IVG. Auparavant, les femmes qui souhaitaient avorter devaient respecter un délai de réflexion de 7 jours entre la première consultation et la confirmation écrite. Ce délai pouvant ne pas être respecté en cas d’urgence lorsque la femme enceinte approchait de la fin du délai légal pour avorter (12 semaines de grossesse).
A mille lieues de chez nous ? Non.
En effets, ce genre de développement est assez positif. Cependant, c’est toujours important de rester sur ses gardes lorsque les droits des femmes sont menacés, où que ce soit dans le monde. Toute cette situation peut sembler à mille lieues de chez nous, mais ce n’est pas vraiment le cas. La situation aux États-Unis peut susciter des lobbies anti-avortement dans d’autres pays occidentaux. De plus, le lobby américain peut mettre son argent dans les lobbies européens et ainsi gagner de plus en plus d’influence.
Après tout, le fait que l’avortement figure toujours dans le code pénal montre comment nous le considérons en tant que société. Mais choisir l’avortement n’est pas un crime et les médecins qui aident les femmes ne sont pas des criminels. Ils veillent à ce que les femmes ne soient pas obligées de recourir à des avortements illégaux mettant leur vie en danger en utilisant des cintres, des aiguilles à tricoter ou de l’eau de javel.
Illusion
Soixante pour cent des grossesses non désirées dans le monde se terminent par un avortement et il est illusoire de penser que ce chiffre diminuera si nous interdisons l’avortement. En fait, dans les pays où l’avortement est interdit et où les contraceptifs sont difficiles à trouver, ce sont justement ces pays-là qui pratiquent la plupart des avortements. Et non pas dans des cliniques propres, mais sur des tables de cuisine crasseuses et dans des bâtiments abandonnés.
L’IVG est un droit humain. Et rien ne rendrait plus justice à ce fait que si les soins liés à l’avortement faisaient partie des soins de santé ordinaires. Et si le droit à la liberté de choix était ciselé, ancré et protégé par la loi. Pour qu’elle ne puisse plus être entravée par des partisans intransigeants et hargneux qui n’ont pas à vivre eux-mêmes les conséquences d’une grossesse non désirée. Pourquoi ? Parce qu’ils sont majoritairement masculins.
Éjaculation irresponsable
Si vous voulez que les avortements disparaissent, vous devez prévenir les grossesses non désirées, écrit Gabrielle Blair, une écrivaine mormone qui a fait le buzz avec son Tweet sur l’avortement. Elle a elle-même six enfants. Mais elle estime que c’est insensé que des femmes soient obligées de mener à terme des grossesses non désirées.
Et les hommes dans tout ça ? Selon elle, ils n’hésitent pas à l’ouvrir pour protéger la vie à naître. Mais se soucient peu des « éjaculations irresponsables » avec lesquelles ils peuvent bouleverser la vie des femmes en quelques secondes.
Par ailleurs, aucune femme ne prend du plaisir à faire une IVG. Même si c’est un soulagement que cette option soit disponible. Et si une personne est vraiment contre l’avortement, il faudrait peut-être mieux qu’elle se concentre sur ce qui a engendré une telle situation.