L’hétéronormativité peut se définir comme une norme qui promeut l’hétérosexualité comme l’orientation sexuelle naturelle, cohérente, et donc privilégiée. C’est la supposition que tout le monde est hétérosexuel, sauf indication contraire. C’est aussi la considération que l’hétérosexualité est idéale et supérieure à toute autre orientation sexuelle. Pour couronner le tout, elle présuppose aussi de pratiques qu’il s’agirait ou pas de faire, pour rester dans cette norme. Ainsi, l’on encourage à comprendre l’hétéronormativité comme un concept qui révèle les attentes, exigences et contraintes s’imposant “de fait” lorsque l’orientation sexuelle (hétérosexuelle donc) est considérée comme norme dans la société.
La vision hétéronormative implique un alignement entre le sexe biologique, la sexualité, l’identité de genre et les rôles de genre. L’hétéronormativité est ce qui nous pousse à concevoir que la sexualité se passe toujours entre un homme et une femme (et de fait, associée systématiquement à une logique de reproduction). Ce modèle définit donc un système de rapport entre les sexes qui est binaire et asymétrique : l’homme doit correspondre aux stéréotypes du genre masculin, en étant notamment viril, vaillant et fort, tandis que la femme doit être douce, sage et docile, pour correspondre aux stéréotypes de genre féminin.
Pourtant, en matière de sexualité, les normes peuvent faire de nombreux dégâts.
[blockquote style= »pinkxl »]La vision hétéronormative implique un alignement entre le sexe biologique, la sexualité, l’identité de genre et les rôles de genre.[/blockquote]
L’hétérosexualité et à fortiori l’hétéronormativité, ne sont pas des faits de nature mais des comportements institués en normes sociales issus de diverses cultures. Et les cultures ont une histoire. Le terme “hétérosexualité” a commencé à être interrogé autour des années 1980 par des mouvements féministes lesbiennes radicales, mais ce n’est que depuis peu, qu’il commence à faire l’objet de réflexions spécifiques au niveau des sciences sociales, par exemple. Ces réflexions amènent à regarder les attitudes hétéronormales comme pouvant être oppressives, stigmatisantes, et induisant une marginalisation des formes de sexualité et des genres perçus comme hors-normes. Ainsi, on peut faire le parallèle entre le fait que l’hétéronormativité fonctionne de la même manière que d’autres discriminations. En effet, elle favorise la domination d’un groupe sur un autre supposant la supériorité des personnes et relations hétérosexuelles sur les autres.
L’hétéronormativité a donc aussi pour effet la marginalisation ou l’exclusion sociale des personnes LGBT pouvant être victimes de discrimination, harcèlement et violences. En érigeant une opposition entre norme et hors norme, l’hétéronormativité rend par exemple l’homosexualité culturellement invisible : c’est seulement lorsque les individus adoptent des comportements homosexuels ou perçus comme tels, qu’ils deviennent visibles et donc potentiellement l’objet d’attaques par la société.
Cette invisibilisation peut prendre différents aspects :
- croire que les personnes non hétérosexuelles devraient garder leur orientation sexuelle privée
- censurer des oeuvres les thèmes, réalités, personnages LGBT
- devoir cacher ou occulter son orientation sexuelle, à l’école, au travail ou quand on est une personnalité publique, alors que les personnes hétérosexuelles parlent librement de leur statut civil, relation ou vie de famille.
Dans la société, l’hétéronormativité crée donc une hiérarchie sexuelle qui va amener à juger de pratiques comme appartenant à du “bon sexe” et d’autres à du “mauvais sexe”. Nous allons essayer de décortiquer et déconstruire quelques-unes de ces idées ensemble, afin de repérer comment l’hétéronormativité se niche, insidieusement dans nos représentations (tous les exemples cités sont des choses que j’ai pu entendre sur le terrain, en consultation, en atelier… et que l’on peut entendre fréquemment autour de nous).
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“ Un couple hétéro doit être exclusif”
Voilà en effet une idée qui s’est installée comme un principe de base du couple hétérosexuel. Si l’on regarde un peu dans le rétro, l’histoire du sexe monogame entre hétérosexuels, est purement et simplement due à l’enjeu de la procréation : si le couple est monogame, on sait qui est le géniteur. Pourquoi déconstruire cette idée ? Non pas que tous les couples dussent être libres ou ouverts, il n’est pas question ici de poser une autre vérité ou injonction. Simplement de pouvoir considérer qu’il puisse y avoir d’autres modèles qui pourraient convenir à certain.e.s, pour un temps, pour plus longtemps ou de manière ponctuelle. Et que si c’est une manière de fonctionner partagée qui mène vers plus d’épanouissement, elle vaut probablement le coup d’être considérée.
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“ Dans un couple hétéro, la sexualité est (forcément) pénétrative”
Et l’on sous-entend ici la pénétration d’un pénis dans un vagin (pratique nécessaire dans les rapports à visée reproductive, encore une fois…). Généralement, on va considérer que le rapport sexuel dit “complet” et “normal” se déroulera en quelques étapes : des “préliminaires” (qui servent donc d’introduction en vue de préparer ce qui va suivre), une pénétration vaginale, et une éjaculation qui va signer la fin du rapport (au mieux, on visera aussi l’orgasme de la partenaire). Pourquoi déconstruire cette idée ? Et bien parce qu’il y a de nombreuses autres façons d’avoir des rapports et d’envisager la sexualité. Parce qu’il est dommage de limiter l’intime, si riche et varié, à la seule pénétration. Et aussi parce que pour qu’il y ait une pénétration d’un pénis dans un vagin, il est nécessaire (outre le fait d’en avoir envie) d’avoir une érection fonctionnelle et de ne pas rencontrer de difficultés (vaginismes, dyspareunies…) qui empêchent, limitent ou rendent douloureuse la pénétration. Pour de nombreuses personnes, pénétrantes et/ou pénétrées, cet acte n’est pas si “simple”. Aussi, envisager une sexualité plaisante, non douloureuse et sans pression paraît être une alternative plutôt réjouissante non ?
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“ Il n’est pas normal qu’un homme hétéro se fasse pénétrer”
La belle affaire ! L’homme hétéro n’aurait donc pas accès à son plaisir anal ? Parce que cela ferait de lui un homosexuel ? Là encore, les idées reçues ont la dent dure. On ne le répètera jamais assez mais une pratique sexuelle entre personnes consentantes ne définit pas son orientation sexuelle. Elle peut être signe de curiosité, d’ouverture, d’apprentissage de son propre plaisir… Mais ne condamne certainement pas à une orientation sexuelle. Pourquoi déconstruire cette idée ? Et bien déjà parce que l’anus est une zone érogène dont sont dotés tous les hommes, et qu’en plus de cette zone mésestimée, les hommes ont également une prostate, excellente alliée à l’exploration de ses plaisirs. Enfin et surtout, on pourrait presque le voir comme un acte politique : toute personne dotée d’un anus est libre de l’utiliser dans sa sexualité, avec qui elle le souhaite. Cette pratique ne devrait pas être jugée et ne devrait pas être utilisée comme un moyen pour présumer (et généralement la condamner) de l’orientation sexuelle de quelqu’un.
Par ces quelques exemples et cette réflexion autour de l’hétéronormativité, nous souhaitions interroger ce que l’on nous transmet comme étant “normal” et attendu, afin peut-être de (re)construire une sexualité à soi. C’est-à-dire une sexualité consciente et choisie, une sexualité de plaisir, débarrassée des injonctions d’une société et d’une bien-pensance souvent trop pesante. La route est longue mais elle en vaut le coup…